Compte rendu de Fabrice Santini de la conférence devant une salle attentive et passionnée :
Le projet Arles Rhône 3.
Ce projet de mise hors d'eau d'une barge romaine a un intérêt au niveau mondial car il n'y a aucun musée au monde qui présente un bateau entier sorti des eaux .Ceci est dû à la richesse de Trinquetaille .C'était un port important de l'antiquité du - 2ème siècle av JC au 7ème siècle ap JC. Il recevait des cargaisons envoyées en Europe du Nord et était une place multimodale de premier plan. A l'époque comme aujourd'hui encore hélas, tout ce qui ne servait pas était jeté dans le fleuve .Les poubelles et les latrines ont toujours été un lieu de prédilection et source de richesses pour les archéologues .Une cargaison pouvait aussi glisser dans le fleuve, les amphores dans l'antiquité correspondaient à nos bouteilles en plastique, une fois vidées elles étaient jetées (des milliers sont découvertes dans le Rhône). Trinquetaille était une place renommée pour la construction navale (bateaux, outils...)
Sur une bande étroite, Trinquetaille est une place archéologique mondiale préservée car située dans une partie calme et sans courant du fleuve, 60 mètres de large, 300 mètres de long avec des fonds de 0 à 6 mètres au plus profond, la partie centrale du Rhône étant parmi les plus profondes des fleuves d'Europe ( jusqu'à 20 mètres).
Le souci principal est sa dangerosité avec une visibilité ne dépassant pas 50 cm, la présence de germes virulents contaminant rapidement une blessure avec de graves conséquences sanitaires. Ces caractéristiques terribles ont fait que de nombreux objets sont restés en place et préservés.
Les recherches ont débuté en 1980 quand on s'est aperçu du trafic des pillards d'amphores.
Le projet Arles Rhône 3 proprement dit:
Une trentaine d'embarcations ont été découvertes avec seulement 5 barques entières. Il s'agit d'un projet Fouille, Restauration et Présentation d'une barge romaine. Le budget de 9 millions d'euros a été dégagé grâce au conseil général, l'état, la région et le Centre National de Recherches Archéologiques.
La péniche antique de 30 m de long, 3,5 m de large et 1,20 m de franc-bord était chargée de pierre provenant de St Gabriel (église de Fontvieille où se trouve un trou correspondant à une carrière romaine). Les pierres ont été retrouvées en Camargue dans la constitution des routes et des habitations. Sous la barge, un mât découvert de 4 m permettait aux hommes (esclaves) de hâler le bateau, économiquement plus intéressants que la traction animale .A l'avant de la péniche une cuisine intégrale avec son braséro et la vaisselle des bateliers persistaient encore!
La bateau rempli de pierres s'est mis de travers après avoir cassé ses amarres lors d'une crue et, comme le franc-bord de la péniche chargée était de 15 cm, l'eau s'est engouffrée et a coulé le navire, ceci 45-50 ans après JC (époque de Néron). Le bateau s'est enfoncé dans le limon. A sa découverte, 4m de déchets le recouvrait seul l'arrière de la barge était visible (2m sur les 30 m de la barge).
On a remonté 8900 objets entiers qui recouvraient le bateau, de nombreuses amphores et débris ont été laissés dans le Rhône et 20000 objets sont exposés au musée.
Le projet AR3 (fouille, relevage et restauration d'un chaland antique) aura des retombées économiques importantes pour la ville d'Arles(L'exposition César a vu la visite de plus de 200 000 personnes ).
Le National Geographic a envoyé des journalistes de Washington (tirage mondial de 40 millions d'exemplaires), des demandes de chercheurs de Boston et Osaka sont parvenus à Mr Sintes.
Le défi était donc de sortir un bateau de 30 m gorgé d'eau et pesant 80 tonnes .Il a fallu découper le bateau en 10 tronçons qui furent remontés un par un.
Il a été mis au point un caisson flottant avec des barres métalliques glissées sous la barge puis solidarisées. Ensuite un système de vérin manœuvré par une grue devait permettre de remonter les tronçons.
Une autre difficulté fut rencontrée car le chaland était incliné dans le limon, il a donc fallu d'abord le redresser.
Tous les morceaux furent référencés avant mobilisation. La cargaison de 30 tonnes de pierres a été enlevé pierre par pierre et a demandé 1 mois de travail.
Les sections ont été réalisées à la scie égoïne permettant une scission fine de 1mm. Des clous de 40 cm intègres grâce aux conditions anaérobies qui recouvrait la barge ont été un écueil supplémentaire.
Après la remontée des sections, on a enlevé tous les débris, le fond a gardé les traces des pierres jetées. On numérote chaque fragment, 2800 morceaux ont été référencés (numéro, photos...)
Après numérotation, on démonte toutes les structures qui sont emballées puis envoyées aux restaurateurs sous brumisation constante.
Après la découpe se pose le souci du conditionnement .Chaque morceau est emballé dans de l'eau et envoyé à Grenoble au Centre d'Etude Atomique de Grenoble qui restaure les bois gorgés d'eau.
Le bois est plongé dans une solution de polyéthylène glycol qui pénètre le bois, chasse l'eau et stabilise le bois.
On sort le bois, le sèche en le bombardant de rayons Gamma, le bois est alors fixé.
Un 2ème séchage dans des cuves est fait par lyophilisation .On congèle à -40°C, on fait le vide qui permet le phénomène de sublimation (l'eau s'évapore et le bois est parfaitement sec)
Les tronçons sont solidarisés par une résine teintée, le bateau est entièrement scanné en 3D.
Une aile du musée de 800 m2 présentera la barge avec une exposition sur la navigation, les outils utilisés 20 ans après JC constituent une collection unique au monde. Il y aura une évocation des métiers du port avec son administration, sa douane et le quarantième des Gaules. Tout ce qui entrait en Gaulle devait payer 1/40 ème de la valeur de la cargaison qui était ficelée et plombée avec le sceau du port. Cette source de richesse a permis, entre autre, aux douaniers du Rhône de financer le Neptune exposé au musée.
L'aile est en construction et comportera une fosse de 30 mètres qui accueillera la barge avec son mât, sa cargaison en pierres reconstituées, la cuisine avec braséro et vaisselle à l'avant. Elle reposera sur un socle en métal réalisé à Grenoble qui sera remonté au musée. Les structures latérales seront maintenues par des bras invisibles. 3208 clous ont été enlevés, traités à cœur ou détruits puis remis en place ; sans cela, un phénomène dit de Vasa aurait produit de l'acide sulfurique et détruit le bois. Le fer des clous provient de la région de Narbonne (Montagne Noire). Le fond amovible est constitué de chêne et les parties latérales sont des demi-troncs de pins de 45 mètres et vieux de 150 ans venant du Jura. Ces parties sont d'un seul tenant et correspondent au demi-tronc entier sur lesquels on peut observer les traces des outils utilisés par les menuisiers.
Du fait de sa forme fuselé, c'est un bateau de fleuve adapté à la navigation maritime.
Les conditions météorologiques exceptionnelles de 2010 et l'absence de crues ont permis la sortie rapide du chaland d'avril à octobre.
Grâce à cela, les arlésiens pourront admirer ce trésor le 1
er octobre 2013 au musée d'Arles Antique
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Photo de notre conférencier Claude Sintes